Transidentités : écouter pour mieux concevoir
#29 Interview de Chiara Angori, Content designer
Bien le bonjour !
J’espère que vous profitez du beau temps, des soirées d’été à refaire le monde, et que vous arrivez à ralentir un peu. De mon côté, les deux premiers sont intégrés dans ma routine (même si j’ai arrêté de refaire le monde), mais je ne ralentis pas vraiment en ce qui concerne le boulot, j’essaye juste de réorganiser mes journées.
Trêve de bavardages… Au sommaire de cette nouvelle édition :
Design inclusif : comment inclure les personnes transgenres et non-binaires ? - Interview de Chiara Angori, Content designer
Tour d’horizon des jobs d’UX writer
Pas d’événements prévus, place à la lenteur de l’été ☀️
Bonne lecture 📄
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Design inclusif : comment inclure les personnes transgenres et non-binaires ?
Interview de Chiara Angori, Content designer
Après une formation et une carrière en traduction/localisation, Chiara s’est auto-formée à l’UX writing. Depuis quelque temps, elle porte un projet fort : comment inclure les personnes trans et non-binaires dans nos produits digitaux ? Un sujet qui est devenu, pour elle, un combat.
Peux-tu expliquer le projet que tu portes ?
Mon projet consiste à travailler sur l'inclusion au sein du design. Les produits numériques ont un vrai impact sur la vie des gens, ils affectent leur vie. Mais souvent, les designers ont tendance à sous-estimer leur responsabilité. Si nos produits ne respectent pas la diversité des personnes qui les utilisent, c’est qu’on a consciemment décidé d’en oublier plusieurs.
Je me concentre sur les personnes transgenres et la communauté LGBTQI+, afin de donner de la visibilité à ces personnes et de créer des espaces digitaux qu'on peut considérer plus sûrs par rapport à la réalité d’aujourd’hui.
Quelle est ta définition de l'inclusion ?
L'inclusion, pour moi, c’est le fait d’être non exclusif et de créer un “safe space” du point de vue digital.
Quand on parle d’inclusion, généralement on cherche à concevoir un design idéal, qui convient à tout le monde. Mais c'est impossible parce que chaque individu a ses besoins. Pour moi, il faut concevoir en pensant à la diversité d'usages et faire en sorte que, pour le même produit, il puisse y avoir autant d’usages que possible. Faire en sorte que le produit puisse être personnalisé.
Ce n'est pas l'utilisateur ou l’utilisatrice qui doit s'adapter au produit, mais le contraire. Mon produit idéal permet de personnaliser l'expérience en fonction des personnes.
Genre, transgenre, non-binaire… Peux-tu en redonner les définitions ?
Il y a plusieurs termes qui sont utilisés de façon mélangée.
Pour commencer, parlons du mot “sexe” : c’est l'attribut d’un point de vue biologique, selon les chromosomes, l'expression des gènes, les hormones et l’anatomie.
Ensuite, il y a le genre. Ce terme a été utilisé pour la première fois en 1955 par le psychologue John Money. C’est le sexe “psychologique” des individus. Cela diffère du sexe biologique, puisque le genre est construit d'un point de vue social : habitudes, comportements et expression. C'est pour ça aussi qu'on parle d’identité de genre et d'expression de genre.
L'identité de genre, c'est comment moi je me sens, quel genre semble me correspondre : femme, homme, les deux, aucun, ou autre.
L’expression du genre, c’est comment je vis et j’exprime mon genre, en fonction, par exemple, de mon comportement, mon apparence, mes vêtements, mes cheveux, ma voix, mon maquillage, mon langage corporel, le nom et le pronom que je veux utiliser, etc.
Une personne transgenre est une personne qui ne se reconnaît pas dans le sexe qui lui a été assigné à la naissance.
Le contraire est d’être cisgenre : les personnes qui, d'un point de vue social, ont leur sexe biologique et leur genre qui correspondent. Par exemple, je suis, du point de vue biologique, une femme et, en ce qui concerne le genre, je me sens une femme. Alors qu’une personne trans est une personne qui a un sexe à la naissance, mais qui se sent d’un autre genre.
Dans le mot “transgenre”, il y aussi les personnes non-binaires : elles ne se sentent appartenir à aucune des deux catégories.
Merci d’avoir recentré ces sujets, qui suscitent de nombreux débats, mais bien souvent parce qu’on n’a pas la bonne information, qu’on ne va pas forcément chercher.
Oui. J’apprends encore beaucoup ces derniers temps, j’étais très ignorante avant de m’y intéresser. Il y a quelques mois, je pensais qu’une personne transgenre ayant fait une opération de réassignation - si je ne me trompe pas de terme - doit être appelée “transsexuelle” et non "transgenre". Mais en en parlant avec des personnes concernées, elles m’ont dit que ce n’était pas un terme à utiliser parce qu’il introduit une différence entre les personnes qui ont décidé d’effectuer une opération génitale et toutes les autres. De nombreuses personnes transgenres n’ont pas fait et n’envisagent pas de faire cette opération, et ça ne doit pas avoir d’impact dans leur appartenance à la catégorie.
Pourquoi c'est devenu un combat pour toi ?
Ça a commencé par hasard, comme toute belle chose (rires). J’ai commencé à m’y intéresser parce qu'il fallait améliorer un formulaire chez Doctolib. En général, on demande la civilité - madame, monsieur - et j'ai vu qu’on demandait aussi le sexe - masculin ou féminin. Du coup, je me suis posée la question, parce que déjà, par rapport à la civilité, la personne peut choisir ce qu'elle veut, il n’y a aucun contrôle, ce n’est pas un terme légal. A contrario, le sexe est “géré” d’un point de vue légal et ça peut être problématique pour tout ce qui est vérification d'identité si les documents et le paramétrage du compte ne collent pas.
Et à partir de là, j’ai ouvert la boîte de Pandore. Je me suis rendue compte que je n’y connaissais rien et que je n'avais pas la recette miracle pour que le formulaire soit inclusif. Je connaissais la différence entre sexe et genre, mais je ne savais pas comment ça devait vivre dans un formulaire, quelle était la bonne démarche à adopter, de quels types d’informations ont besoin les personnes transgenres pour remplir un formulaire pour une expérience utilisateur optimale.
Je me suis alors dit que je devais essayer de faire quelque chose dans mon domaine, le design. Je peux changer les choses grâce à mon métier.
Je suis une personne assez idéologique (rires), mais, avec la responsabilité que j'ai, les connaissances que j'ai, qu'est-ce que je peux faire ? Comment est-ce que je peux rendre le monde digital un peu moins injuste pour certaines personnes ?
Tu parlais de l'exemple de la civilité - madame, monsieur - on parle aussi de langage épicène quand on veut écrire de façon inclusive. Alors, on pourrait se dire que c'est simple, qu’il suffit de changer la civilité et d’écrire de façon neutre, de faire attention au masculin et féminin, de mettre des points médians. Mais au final, je suppose que c’est beaucoup plus complexe que ça.
Je parlais justement aujourd'hui de langage inclusif, neutre et genré, lors d’un cours à l'École Européenne des Métiers d'Internet. Oui, techniquement, on peut tout refaire : parler en utilisant un langage neutre, ne pas demander dans les formulaires le sexe et le genre si ce n'est pas nécessaire. Mais, parfois, c'est nécessaire, notamment pour des questions légales.
Ou, prenons l’exemple de l’administration avec France Connect : on demande certaines informations obligatoires parce qu’elles servent à l’identification digitale. Aujourd’hui, l’identité digitale est basée sur ces informations-là.
Alors, pour les contextes où c'est vraiment nécessaire, comment bien demander les informations et comment les demander de la façon la plus correcte possible ?
En ce qui concerne le domaine de la santé, c'est encore pire. J’ai écouté plusieurs podcasts et regardé des vidéos : les personnes trans peuvent complètement délaisser leur santé parce qu’elles ne se sentent pas comprises par les professionnels de santé. Elles ne sont pas acceptées comme patientes.
Par exemple, si je suis une personne trans et que j'ai encore un vagin, je dois parfois aller chez le gynéco. Le gynéco peut me recaler, en me disant “je ne sais pas comment vous traiter”.
Pourtant, la santé devrait (et est) un droit pour tout le monde.
Il faut se demander : comment faire en sorte que les personnes se sentent à l'aise de partager des informations et se sentent comprises ?
Si on ne propose que des questions binaires - homme ou femme, la personne peut choisir au pif si elle ne rentre pas dans ces deux cases (par exemple, si tu es non-binaire) ou si elle n’a pas assez d’info pour comprendre quelle est sa case (par exemple, si tu as fait une transition de genre mais tu n’as pas fait de démarche légale). Et ce ne sera utile pour personne.
C’est comme si, Apolline, je te demande : “tu t’appelles Chiara ou Laura ?” C’est un exemple extrême, mais tu vas choisir au hasard ou partir.
Cela relève de notre responsabilité de designer de faire en sorte que tout le monde puisse se sentir en confiance au moment de partager des informations si sensibles.
Oui, et en premier lieu, au moins se poser la question “est-ce qu'on a vraiment besoin de ces informations de civilité, de genre, de sexe ?”
As-tu fait des recherches métriques, sur le nombre d'utilisateurs·trices qui pourraient être concerné·es et qui pourraient se sentir exclu·es ?
Non, pour des raisons assez simples. Si je considère la population française, les personnes trans sont une minorité. Que ce soit 1%, 2%, ou 3% de la population française, ce sera toujours une minorité. Mais ce qui est important, c’est de voir au-delà du nombre de personnes concernées.
D’une part, une personne peut se découvrir non-binaire au cours de sa vie, par exemple. Du coup, est-ce qu’il suffit d'être non-binaire pendant six mois pour entrer dans les statistiques ?
D’autre part, en ne prenant pas en compte cette minorité, tu l’exclus. C’est une question d’éthique. C’est comme pour les questions d’accessibilité, tu fais le choix ou non d’exclure les personnes en situation de handicap.
En plus, surtout s’il s’agit d’une minorité, je considère que c’est intéressant de faire une piqûre de rappel aux personnes cisgenres qu’il y a bien des transgenres dans le monde. Juste, poser ça là, pour que leur présence soit normalisée.
Après, notre but en tant que designer, c'est de faire rencontrer les objectifs business et les objectifs des utilisateurs·trices. Si tu fais face à quelqu'un dans ton équipe, un·e manager ou designer, qui te dit “ça ne concerne que 1% des utilisateurs·trices, l’impact n’est pas énorme”, tu fais comment pour le convaincre et le sensibiliser à l’inclusion ?
Je comprends ton point. Du point de vue des métriques, c'est vrai que ça ne change pas beaucoup la donne. Mais quand on me pose cette question, je la retourne : donc on a décidé d'être exclusif, est-ce que tu signes ? Est-ce que tu as décidé que tu ne veux pas prendre en compte l'expérience de ces personnes ? C’est un choix, conscient.
Si tu veux que ton service soit vraiment accessible à tout le monde et puisse être utilisé par tout le monde, tu dois aussi varier les personae. Tu dois aussi varier les types d'utilisateurs et d’utilisatrices qui peuvent être là lors de tests, parce que, autrement, tu peux aussi dire que ces personnes tu ne les considères pas ou tu les mets de côté, mais c'est un choix.
C'est aussi important de montrer en tant qu'entreprise que tu es bien présente pour ces personnes et que tu crées un espace sûr.
Bien sûr, les personnes trans sont une minorité par rapport aux personnes cisgenres. Mais si tu design pour tous les genres, toute personne se sentira plus à l'aise à utiliser les services d’une entreprise, il n’y aura pas d’agression.
Après, on peut dire que ce n’est pas la priorité. Mais quand tu te rends compte que ce sont des personnes, et non plus des chiffres, cela veut dire tu décides de ne pas considérer untel ou unetelle. Quand tu as l'utilisateur ou l’utilisatrice en face, par exemple pendant une phase de recherche et d’interviews, c'est autre chose. Ce ne sont plus des chiffres, mais des vraies personnes.
On oublie souvent que derrière les chiffres il y a de vraies personnes.
Le projet que tu portes vise à inclure les personnes trans et non-binaires. Où en est ce projet ? Qu’est-ce que tu as fait jusqu’à maintenant ?
L’idée a émergé il y a quelques mois. Au début, je ne savais pas par où commencer. Surtout parce que moi qui ne suis pas transgenre, j’avais vraiment peur de faire des bourdes. J’avais peur de traiter le sujet de la mauvaise manière et de créer des dégâts plutôt que d'apporter des solutions.
J’ai ensuite rencontré Christopher De Paola, qui avait déjà commencé à travailler sur ces sujets. On s’est dit d’avancer ensemble - ça fait bien moins peur (rires).
Pour l'instant, on est vraiment dans la phase de discovery. Les formulaires, c'est la partie émergée de l'iceberg. On est en train de voir ce qui se passe pour les personnes transgenres dans le monde réel et le monde virtuel.
Quelles sont les agressions qui existent dans la vie de tous les jours ? Quelles solutions existent ? Quelles sont les démarches administratives ? Comment les personnes trans sont présentes dans les documentaires et les films ? Quelles sont les guidelines design qui existent aujourd'hui ? Comment certains sites créent des formulaires qui sont inclusifs ? Comment ils sont faits ? Est-ce que certaines applis, par exemple, les applications pour traquer les règles sont inclusives ? Si non, pourquoi ? Tu vois par exemple que beaucoup sont roses avec des paillettes et qu'il y a toujours le rapport à l'ovulation, à la fertilité et à la grossesse.
On est donc en pleine phase de recherche. On rassemble les différents thèmes et ressources pour mieux comprendre comment on veut traiter le sujet.
À vrai dire, on a plus ou moins compris les enjeux. On pourrait changer les formulaires dès demain et changer les mots. Mais maintenant, ce n’est presque plus le sujet. Ce qu’on veut, c’est construire quelque chose pour partager au plus grand nombre et ainsi aider les designers à concevoir de façon plus inclusive.
Si on s’intéresse à Doctolib, oui, tu peux améliorer l’interface pour qu’elle soit plus inclusive. Mais, quid des professionnel·les de santé qui ne savent pas, qui sont mal informé·es, ou qui n’acceptent pas les personnes transgenres ? Est-ce que cela implique de les sensibiliser, voire de les accompagner ?
Bonne question. Là, on est en train d’en discuter : est-ce notre rôle ? Si oui, est-ce possible ? Et comment faire ?
Aussi, chez Doctolib, il y a la conception côté patients et côté professionnel·les de santé. Il faut bien comprendre les informations que souhaitent transmettre les personnes transgenres, celles qu’elles sont prêtes à partager et celles dont elles ont besoin de partager. De plus, voire l’impact sur les patient·es cisgenres, lorsqu’ils et elles voient qu’il n’y a plus seulement “madame, monsieur” sur l’application - par exemple. Et enfin, côté professionnel·les de santé : de quels types d’informations ont-ils/elles besoin ? Est-ce qu’ils ou elles sont prêt·es à accueillir des personnes transgenres (pour éviter que celles-ci se voient essuyer un refus sur place) ? Aussi, est-ce que créer des listes officielles de professionnel·les de santé spécialisé·es dans la prise en charge des personnes transgenres est une solution ? On peut penser au revers de la médaille : des personnes malveillantes pourraient parcourir ces listes et se pointer dans les cabinets médicaux en sachant qu’il y a probablement des trans, et là ça ne va pas rigoler !
C’est hyper touchy, d’autant plus qu’on touche à la santé. Et surtout à la santé des personnes qui, par exemple, prennent des hormones (même s’il ne faut pas nécessairement prendre des hormones pour être transgenre). Ces personnes peuvent mettre leur santé de côté, parce qu’elles ne trouvent pas le bon interlocuteur médical.
C’est important de déterminer le bon équilibre : partager assez d’informations mais pas mettre en danger le quotidien des gens.
En tant que Content designer, quel est ton rôle dans ce projet ?
Dans ce genre de projets, ça peut vite devenir le projet de tout le monde, et donc de personne. Je n'ai pas pris ce sujet en tant qu’UX writer, mais parce que ce thème me tenait à cœur.
Je suis en train d'essayer de comprendre comment travailler sur ce sujet et comment mettre les bonnes parties prenantes dans la boucle. Aussi parce que, surtout dans le domaine de la santé, il y a beaucoup de contraintes légales et médicales, et de réglementations - et objectivement, moi je n’en sais rien.
Alors, mon job c’est de rassembler les bonnes personnes qui ont une expertise et qui peuvent avoir un impact positif. De faire en sorte que tout le monde comprenne l’importance de ce sujet et comprenne dans quelle mesure chacun et chacune peut apporter son aide.
Je ne peux pas porter seule ce projet, je n'ai ni les connaissances ni les compétences.
Quelles sont les prochaines étapes de ce projet ?
On souhaite vraiment traiter ce projet comme un projet de design. Pour le moment, on est en phase de discovery, pour mettre à plat les connaissances, mieux comprendre le sujet, faire de la recherche côté utilisateurs·trices et concurrents.
Ensuite, il y aura la partie définition du problème. Quelles sont les parties du produit où je veux être, où je dois être plus inclusif ? Formulaires, barre de recherche et résultats liés (exemples dans mon secteur d’activité, la santé : prise d’hormones, dysphorie de genre), etc. C’est impossible de tout faire d'un coup. Donc il faut prioriser, aller vers l’essentiel et définir ce sur quoi on veut travailler.
Après, il y aura la partie développement : comment le faire et surtout, tester avec des premières personnes. Je souhaite vraiment co-concevoir avec des personnes transgenres, mais aussi avec des associations représentatives et expertes. Une personne trans a ses connaissances et son vécu, une association a, quant à elle, une vision beaucoup plus large.
Enfin, la partie delivery, et notamment mettre en place la communication. Comment est-ce qu'on communique par rapport à ça ? Comment est-ce que, côté BtoB et BtoC, on parle du changement et de la démarche en général ?
Mais pour l'instant, cela reste très théorique, cela va beaucoup dépendre de ce qu'on met à plat et de ce qu'on définit comme priorités.
Tu parlais de benchmark. Des entreprises ont-elles déjà mené ce genre de projets et conçu de façon inclusive ?
Il y a des initiatives à droite et à gauche. Il y a par exemple le site du gouvernement anglais qui pose la différence entre sexe et genre, qui explique dans quel contexte il est utile de demander l’un et l’autre, et comment le demander.
Après, il y a pas mal de guidelines design sur Internet, par exemple dans des articles Medium : comment designer les formes pour favoriser l'inclusion, comment construire des formulaires inclusifs, etc. On se focalise beaucoup sur les formulaires parce que c'est le point d'entrée de beaucoup de sites.
J’aime beaucoup le livre “Technically wrong”, de Sara Wachter-Boettcher, où elle parle de notre responsabilité et insiste sur le fait que, de toute façon, la première tentative va échouer. Mais c’est ça l’itération : tente une deuxième, parle avec d’autres personnes, va plus loin dans la discussion.
"Lorsque les besoins des personnes trans sont rendus explicitement visibles au sein d'une interface, toute personne qui utilise cette interface reçoit un rappel subtil que les personnes trans existent. [...] Changer de champ de formulaire ne changera pas les lois. Mais plus nos interactions et nos tâches quotidiennes se déroulent dans des espaces numériques, plus ces espaces ont de pouvoir sur les normes culturelles. Chaque champ de formulaire, chaque paramètre par défaut, chaque notification push, affecte les gens. Chaque détail peut contribuer à la culture que nous souhaitons - peut rendre les gens un peu plus sûrs, un peu plus calmes, un peu plus optimistes."
Si on s'intéresse à ce sujet et qu’on veut changer les choses, mais on est comme toi au début, on n'y comprend rien du tout, on ne se sent pas légitime (surtout si on n’est pas transgenre ou non-binaire), par où on commence ?
J'ai commencé à m'intéresser à ce sujet parce que j'ai lu et écouté des histoires de personnes trans. La première étape est donc d’écouter et de s’éduquer pour mieux comprendre.
J’ai lu deux BD : la première, Cynthia, du dessinateur Leo Ortolani. La protagoniste est une personne trans qui raconte ses démarches pour changer son prénom et son sexe auprès de l'administration italienne. Elle raconte ses rencontres les plus farfelues.
La seconde BD est Mon adolescence trans, de Fumetti Brutti.
Après, il y a aussi des podcasts, comme celui de Tartine de vie, ou des vidéos, comme le coming out de Nikkie tutorials, une make up artist. C’était plutôt un coming out forcé, parce que des internautes ont découvert qu’elle était trans et l’ont menacée de tout dire à la presse et sur Internet. Sa vidéo a fait 38 millions de vues ! Elle y parle de son vécu, de son histoire, de ce qui s'est passé dans sa famille et comment elle le vit aujourd'hui avec son copain.
Il y a aussi le livre Une histoire de genres, de Lexie, une activiste. Elle raconte comment les personnes trans sont présentes et représentées dans les sociétés et dans l’histoire.
Donc, le début, c'est vraiment des histoires. C'est inutile de commencer à plonger la tête la première dans le design inclusif si avant on n'a pas écouté des gens qui parlent de leur expérience. Pour moi, c'est la base.
Il y a finalement beaucoup de ressources. Mais quand il y en a plein, on ne sait pas par où commencer. Mon conseil, c’est de prendre le support que vous appréciez le plus (BD, livre, podcast ou vidéo), pour découvrir et écouter les personnes qui sont concernées. Ne commencez pas par les sujets les plus compliqués.
Tous les liens vers les ressources sont à fin de l’interview, d’autres vous attendent ;).
Un dernier mot à faire passer : pourquoi doit-on s’intéresser à ce sujet et favoriser l’inclusion des personnes transgenres ? Pourquoi créer des expériences sans distinction de genres ?
On a choisi de devenir designer. On a une responsabilité. Puisque le monde réel a tendance à exclure facilement les personnes, on a la responsabilité de rendre le monde digital beaucoup plus sûr et serein pour tout type d'utilisateurs et d’utilisatrices.
Et surtout, ce n'est pas à nous de décider quel utilisateur mettre de côté et lequel ou laquelle est important·e. Parce que sinon, on change de travail.
Qui sommes-nous pour décider si quelqu'un est un·e utilisateur·trice ou non ? Si non, ok, mais je veux que cette personne qui décide d’exclure me dise pourquoi.
Je sais que l’accessibilité et l’inclusion ne sont jamais une priorité. Mais si ce n’est pas maintenant, c’est quand ? Parce que si on attend d'avoir le temps, on n'aura jamais le temps.
Et moi, je veux être fière des produits que j'ai créés, parce que j'ai besoin que les personnes sentent de la bienveillance dans les expériences que je conçois. Personne ne va jamais oublier un sentiment négatif au moment de la création d’un compte ou de l’utilisation d’un produit.
Bien évidemment, le designer ne peut pas être la seule personne qui porte ces sujets. C'est pour ça que je pense que c'est hyper important de créer des task forces et de comprendre comment travailler ensemble sur ces projets.
Dernière petite anecdote : dans un aéroport, je vais toujours aux toilettes des hommes et non des femmes. Il y a moins de files d’attente, c’est beaucoup plus rapide. Et parce qu'il y a un vrai problème de design : les toilettes des femmes et des hommes ont exactement la même superficie, alors que les besoins ne sont pas les mêmes.
Historiquement, le design a toujours été pensé pour un type d'utilisateur bien précis : un homme, cisgenre, blanc. Aujourd’hui, si on pense par exemple aux mannequins pour les crash tests automobiles, aux médicaments à tester, aux toilettes, etc., tout a été pensé pour cet homme. On est biaisé. Essayons de penser à tout le monde.
Créer des solutions non genrées ou qui n’acceptent pas que la binarité, c'est donner un peu plus d’équilibre entre les différentes personnes qui font partie de la société.
C'est hyper tentant de baisser la tête, d'être la tête dans le guidon et de bosser. C’est un confort. Mais à un moment donné, est-ce qu'on peut au moins essayer de changer les choses ? Le design est une vraie opportunité.
Aussi, je pense que c'est important de créer des projets et de porter des causes dont on est fier.
Commençons, cassons-nous la tête et voyons un peu comment on peut rendre ce monde-là un peu moins pire (rires).
Les ressources incontournables (et nombreuses !) de Chiara
Technically Wrong: Sexist Apps, Biased Algorithms, and Other Threats of Toxic Tech, de Sara Wachter-Boettcher
Cynthia, de Leo Ortolani
Mon adolescence trans, de Fumetti Brutti
Je suis transgenre, podcast Tartine de vie
I’m Coming Out., vidéo de NikkieTutorials
Une histoire de genres, de Lexie (“agressively_trans” sur Instagram)
TTT, Tandem de Témoignages Transgenres, de Roxanne Sharks et Christel Seval
Transfuges de sexe, d’Emmanuel Beaubatie
Disclosure, documentaire sur Netflix
Invisible Women, de Caroline Criado Perez
Designing forms for gender diversity and inclusion, article de Sabrina Fonseca
Beyond the Binary: 5 steps to designing gender inclusive fields in your product, article de Micah Benett
The Gender-Inclusive Language Project, guide vidéo par UX Content Collective
Retrouvez Chiara et Christopher le 7 octobre lors d’une conférence à Paris Web : La grande absente : la communauté trans dans nos produits digitaux.
Bien sûr, toutes ont déjà rejoint le centre de ressources pour progresser en Content design - j’ai ouvert une nouvelle catégorie “Design inclusif” 😉
🔍 Ça recrute en France !
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Le mot de la fin
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